1 janvier 2002
Stephen King a toujours été rejeté par les critiques « généralistes », à l’image de la SF toute entière. On le sait. Oeuvres scabreuses pour adolescents boutonneux, romans de gare, on a tout entendu. Je me souviens d’un article paru dans la même période, dans lequel une éminence de la littérature, commentant les chiffres (catastrophiques mais pas trop) de la lecture chez les lycéens, déplorait que parmi les auteurs favoris des lycéens (il s’attendait à quoi ? Que les ados de 16 ans se passionnent pour Balzac ?) , se retrouvent Tolkien, Coelho, et bien sûr… le King.
Alors, quand le King donne à l’un de ses romans des dehors de littérature générale, les mêmes critiques – qui sentent bien qu’ils ont fauté en ignorant les quarante-cinq premiers best-sellers de l’auteur – trouvent une occasion inespérée de se rattraper ! En somme, littérature générale = bon roman ; terreur = mauvais roman. C’est pas compliqué à retenir.
S’ensuit l’un des plus grands déferlements d’imbécilité de l’histoire de la critique littéraire, magazines généralistes tels le Figaro magazine ou Le Point rivalisant d’éloges pour qualifier le dernier livre du « maître ». Trop heureux de voir un roman de SF (au sens large du terme) remplir les colonnes de journaux prestigieux, pourtant accoutumés à une cécité étonnante face à des chefs-d’oeuvre de la littérature tels Hypérion (j’en passe, et des meilleurs !), le milieu SF s’empresse de couronner l’opération (voir Bifrost N°15, 16… « 1999, l’année du Roi ? »).
Qui oserait aller à contre-courant ? Les auteurs de SF français crèvent la dalle, sont ignorés du grand public, on accorde plus d’importance à Christine Angot qu’à des visionnaires comme Serge Lehman ou Pierre Bordage, la SF continue, de nos jours, à être traitée en sous-culture. Le problème est que ce Sac d’Os fait une bien misérable figure de proue pour le genre. Livre composite, il s’ouvre sur de la littérature générale, suit en thriller pénal, s’achève dans la terreur. Avec en filigrane et en guise de bonustrack une lovestory.
« (…)si un tiers du roman seulement est réussi, pourquoi King a-t-il écrit les deux autres ? » excellente question de monsieur Loevenbruck, de SF-Mag (Sf-Mag N°5, 2ème saison). La partie réussie étant la première.
Déjà, le héros est un écrivain. Ca commence mal. Il n’y avait pas assez d’écrivains dans les livres de Stephen King : il en manquait un qui ressemble vraiment à l’auteur. Ambiance autobiographique. Début de bouquin : sa femme meurt. S’ensuit deux cent pages de pleurnicherie magnifiquement écrites. Ca s’appelle de la littérature générale : on se répète lourdement sur les états d’âme d’un personnage en enjolivant le style. Pas grave : le personnage hantera le reste du pavé (600 pages, tout de même) sous la forme d’un fantôme à la fois navrant et rigolo. Ses messages sybillins du genre « reste », « aide la » font très fantastique de bazar. Mais ce qui m’a vraiment convaincu, c’est son mode d’expression : déplacer les lettres magnétiques sur une porte de frigo. On dirait du Pratchett. A quand les messages subliminaux à coups de nouilles en forme de lettres ? Enfin, on a les poltergeists qu’on mérite…
La Lovestory vaut également le coup d’oeil, dans la mesure où Sac d’Os apparaît comme une oeuvre à vocation autobiographique. L’écrivain qudragénaire-héros, Mike Noonan, est love d’une gamine d’une vingtaine d’année, et aussi, d’une autre manière de sa fille de 4 ans. Tabitha King a du souci à se faire : King est pris par le démon de midi, et comme tout friqué de cinquante balais qui se respecte, il va bientôt se mettre à courir après les minettes de vingt ans. On lui souhaite beaucoup de bonheur.
Noonan est riche, veuf, quarante bougies ; elle est jeune, pauvre : pourront-ils s’aimer quand même ? Vous avez aimé ce titre ? Des centaines d’autres vous attendent dans la collection Harlequin. King prépare sa reconversion, juste au cas où la terreur commencerait à ne plus se vendre (c’est vrai qu’avec son roman précédent, Rose Madder, on aurait pu craindre une sacrée chute des ventes, vu que ce roman était assez nul pour tuer le genre tout entier).
Toutefois, si on se limite à son premier tiers, il est vrai que Sac d’Os inflige une sacrée claque, équivalente à celle qu’on prenait à la lecture de Magie et Cristal (tout autant « littérature générale » que le présent ouvrage, mais qui n’a manifestement jamais eu la chance d’être lu par un critique du Fig’). Le style de l’auteur atteint des sommets jamais atteints, ou presque, et n’a rien perdu à la traduction. Les écrivains soutenant le comparaison avec ce morceau d’anthologie (qui se casse la gueule dans les deux tiers suivants) se comptent sur les doigts d’une main, et encore : je ne vois que Serge Brussolo et Pierre Pelot. A l’extrême rigueur Matheson et Pagel (le premier étant l’inspirateur de Stephen King, le second s’en inspirant…).
Mais poursuivons notre exceptionnellement longue chronique. Donc la gamine a une gamine et est pauvre – et veuve, elle aussi. Mais voilà, il y a un grnad-méchant dans cette histoire : le beau-père, donc le grand-père de la fillette ! Il a plein de sous-sous, encore plus plein de sous-sous que le héros !! Et il est méchant !!! Et même, très très méchant !!!! Il veut enlever la fillette à sa mère par tous les moyens possibles, à l’aide de méchants-cons-tenus par le fric-acolytes sous-fifres à deux balles tout droit sortis d’un téléfilm amerloque bas de gamme, le grand-méchant loup va te dévorer, rayer les mentions inutiles.
Le passage à sa partie « thriller pénal » permet à Sac d’Os de passer de « pas mal » à « grotesque ». Morceau choisi :
« Vous connaissez la dame à la balance ? Celle qui trône au fronton de la plupart des palais de justice ? (…) Collez-lui des menottes aux poignets et scotchez-lui la bouche pour compléter le bandeau qu’elle a sur les yeux, violez-la et roulez-la dans la boue. (…) » (p. 200)
Oh ! Que voilà des propos engagés, Mr. King ! Pas trop reçu de menaces de mort de la part des grands-méchants-qui-profitent-du-système-de-justice-inéquitable, j’espère ? Finie, la critique en sous-marin de la société américaine, l’auteur a décidé d’assumer enfin sa nationalité. Il donne dans le prévisible, le bon sentiment dégoulinant. L’ensemble n’arrive pas une seonde à êtr crédible. Le thriller pénal à la King ressemble comme un frère à un mauvais téléfilm américain.
Pour être tout-à-fait honnête, la critique sociale exposée dans Sac d’Os – de la justice, d’abord, puis pour la énième fois des petites villes américaines – n’est pas franchement mauvaise. Mais elle ressemble à cette espèce de critique résiduelle, ou structurelle, à l’américaine : on dit systématiquement un peu de mal de la société ; pas trop peu pour que ça se remarque, pas trop pour ne pas faire de vagues. Mais au fond, on s’en fout. On a connu le King plus percutant.
Objectivement, on s’ennuie ferme. Ce morceau de Sac d’Os est un ratage, dont on se demande encore d’où il débarque.
La dernière partie est, of course, de la terreur à la Stephen King. Tellement « à la Stephen King » qu’on a l’impression de lire une synthèse de ses bouquins précédents (Les Tommyknockers, Ca, etc.). Les petites villes hantées, ça va un moment ; ou plutôt, ça va quand il y a une histoire avec. Ici, on s’enlise dans un fantastique lourd, ridicule, sans intérêt et surtout dépourvu de la plus petite parcelle d’originalité, dont se dégagent avec peine quelques bons rebondissements. Un naufrage.
Contrairement à ce qui a été martelé, Sac d’Os n’est en aucun cas un tournant dasn la carrière de l’auteur. Les éléments de littérature générale (les Bons éléments) avaient déjà été intégrés, avec plus de talent, à Magie et Cristal. Qaunt aux autres nouveautés, elles sont si médiocres qu’on prie pour qu’elles n’appartiennent pas aux évolutions futures de l’écriture Kingienne (ayant lu Hearts in Atlantis, je dois hélas dire que cela a été le cas). Les critiques généralistes, qui ont sans doute mal lu le livre – ce ne serait pas la première fois – apprendront par ailleurs qu’il ne s’agit pas du « moins sanguinolent des livres de l’auteur », un argument qui semblait leur plaire, puisque la palme revient très nettement à Chantier – qui, lui, tranchait radicalement avec le reste de la production de Stephen King. Il y a près de quinze ans ! Comme le disait un grand intellectuel français : quand on ne sait pas, on ferme sa gueule.
Sac d’Os n’est pas le plus mauvais livre qu’ait écrit l’auteur, il y a même une nette amélioration depuis Rose Madder. Ce n’en est pas moins, tant il a été encensé, ma plus grosse déception depuis Endymion de Dan Simmons. Oh ! Les livres de Stephen King, c’était mieux avant !
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