Il est bon de temps à autre, de se souvenir que ce site est issu d’un webzine SF, et de rappeler que OUI, j’en lis encore.

Le « cycle de la Culture » figure parmi les grands cycles de SF que je n’avais pas encore abordé. S’il est parfois mis sur un pied d’égalité avec Hypérion, Dune et Fondation (ah, les quatrièmes de couverture et leurs promesses surréalistes !), je vais commencer par souligner que les romans de la Culture, à la différence des cycles susmentionnés, peuvent se lire indépendamment.

Et heureusement. D’abord parce que j’ai lu les trois premiers tomes dans le désordre (voire carrément en sens inverse). Ensuite parce que la traduction française, toujours très performante (tous éditeurs confondus), a trouvé super malin de publier le tome 2 en premier, suivi par le tome 3, et enfin le tome 1. Donc le troisième tome, pour eux, c’est celui où l’on nous présente la Culture, en guerre contre une autre civilisation, et qui joue sa survie. No comment.

Une forme de guerre, pour commencer

Le « vrai » premier tome, par ordre chronologique et par ordre de parution en VO, est donc « une forme de guerre », qui évoque un épisode crucial de la guerre entre la Culture, civilisation « anarchiste, individualiste » et les Idirans. Un conflit qui confine à la guerre de religion et qui prend des dimensions épiques.
Mais si le conflit est épique, le récit, lui, l’est moins, se concentrant sur le personnage d’un « métamorphe », une sorte d’humain pouvant changer d’apparence à sa convenance, par exemple, pour prendre la place de quelqu’un (ça me rappelle les danseurs-visage de Frank Herbert !) ; protagoniste central du récit, il est en mission commandée pour les Idirans.

Le choix du point de vue (le cycle s’appelle la Culture, du nom d’une civilisation hédoniste et individualiste, mais le héros rejette toutes ses valeurs et travaille à sa chute !) renforce l’intérêt d’un livre qui en a bien besoin. Sans franchement s’ennuyer, on a du mal à saisir les enjeux du conflit, et à bien saisir les implications de ce que fait le « héros » ; on finit par comprendre pourquoi l’éditeur français a initialement publié cet ouvrage en troisième, car les deux autres romans que je vais évoquer donnent une image beaucoup plus claire de ce qu’est la Culture, ses valeurs, sa technologie, son mode de vie, la prédominance et la reconnaissance de ses intelligences articielles – drônes et vaisseaux-villes « pensants ». Sans ces éléments, on peut être tenté de ne voir dans « une forme de guerre » qu’une guéguerre de space opera parmi d’autres.
Bref, à lire si vous voulez vraiment vous lancer dans ce cycle, mais pas du tout indispensable en soi.

Note :
2/5

L’homme des jeux (The player of games)

Dans la Culture, les intelligences artificielles et machines font le plus gros du boulot, permettant aux Humains de vaquer à d’autres occupations ; dans cette civilisation, le jeu est un art majeur, et Jerneau Gurgeh est le meilleur des joueurs de la Culture, capable de rivaliser avec les meilleurs spécialistes de tous les jeux majeurs. Mais il est blasé de sa situation et finit par se tourner vers « Contact », la section de la Culture chargée de surveiller – et résoudre les conflits dans – les autres civilisations, pour voir si, éventuellement, il n’y aurait pas une mission à lui confier qui puisse un tant soit peu raviver son intérêt.
Il ne sera pas déçu et va être confronté au jeu « ultime », clé de voûte d’une civilisation quasi barbare.

Les sources d’intérêt dans ce roman sont multiples. Le fil conducteur centré sur le héros suffit, à lui seul, à maintenir en haleine le lecteur, un peu à la façon d’un « Stratégie Ender ». Mais on sent que d’autres forces sont en présence, et tentent de le manipuler ; cela donne au roman une ampleur que « une forme de guerre » ne parvenait pas à donner, un suspense qui sous-tend l’intrigue principale jusqu’à la scène finale, parfaitement réussie. Et en plus, l’auteur nous laisse nous débattre avec quelques questions métaphysiques, qui font directement écho à la colonialisation et à l’ « ingérence » tels que nous les avons connus, ou les connaissons, dans notre monde actuel, thématique qui rend le roman étrangement intemporel : où s’arrête la « culture indigène », où commence la barbarie ? Doit-on, ou non, intervenir dans une culture que nous ne connaissons pas, pour défendre des valeurs qui sont les nôtres, et non celles de cette culture ?
C’est là aussi qu’on saisit pourquoi ce cycle s’appelle la « Culture ».

Ces différents niveaux de lecture se complètent et sont parfaitement maîtrisés, même si la phase d’exposition est un peu longue. Ils se conjuguent pour faire de « l’homme des jeux » un excellent roman, dont on comprend finalement que l’éditeur, sur un plan marketing, ait choisi de le mettre en avant…

Note :
4/5

Et « Use of weapons », alias « L’usage des armes »

(Et oui, j’ai placé en premier le titre anglais « Use of weapons », puisque j’ai lui celui-ci en VO)
L’usage des armes (qui encore une fois, peut se lire indépendamment du reste) nous fait suivre le périple de Cheradenine Zakalwe, vieux guerrier stratège employé par la Section Contact de la Culture pour interférer dans des conflits planétaires, rappelé de sa retraite pour intervenir dans un conflit menaçant de prendre des proportions galactiques.
Si le contenu du fil d’intrigue principal n’est pas foncièrement original, l’univers de la Culture et la forte personnalité de Zakalwe retiennent l’întérêt du lecteur, qui ne cesse de se demander quelle prochaine absurdité va surgir – et ce, sans jamais tomber dans le roman parodique. Mais ce n’est pas là la véritable force de ce récit : sa force, son originalité, c’est d’alterner entre le fil principal, dans l’ordre chronologique, et des épisodes passés de la vie du héros, qui sont placés dans le désordre, voire carrément en ordre antéchronologique. Banks use de cet artifice pour démultiplier les zones d’ombre et le suspense de son livre, dont on ne sait plus s’il faut attendre des révélations dans le présent ou le passé du personnage ; cela lui permet aussi d’offrir un contraste saisissant entre le présent, où Zakalwe paraît décontracté et n’hésite pas à user d’astuces prêtant plutôt à rire, et son passé d’une noirceur sans limite, angoissant, dérangeant, et même à en glacer le sang.
A force, le roman se lit sur tellement de plans différents que sur une trame centrale finalement basique et linéaire, il se révèle une lecture plutôt difficile : restez bien concentrés et ne sautez pas de paragraphe, vous risqueriez de le regretter…

L’usage des Armes est peut-être le meilleur des trois, j’hésite encore avec l’Homme des jeux. Difficile de les comparer de manière honnête quand j’ai lu l’un en anglais, l’autre en français. Mais comme il s’agit du même cycle, je ne peux que vous recommander de les lire tous deux (« Une forme de guerre » restant optionnel), je ne pense pas que vous le regretterez.

Note :
5/5